Françoise RaffyPosted: march 11, 2014 / Modified: march 12, 2014
Picasso a eu ses périodes bleue, rose, cubiste, réaliste. Françoise Raffy, à travers la tauromachie, a expérimenté son colorisme intense, ses moments décoratifs simplifiés jusqu'aux limites du naïf.
Quand est il quelques années plus tard, quelques dizaines de toiles et d'expos nouvelles ?
Dans l'atelier, muleta, cape, banderilles, palettes, pinceaux sont toujours éparpillés comme après un récent combat. Silence de l'espace de création comme dans l'attente d'un nouvel affrontement.
A côté des tubes, des pots, des pigments, des documents, attendent les muscles, la sueur, les nerfs tendus sur les petites arènes de travail, face aux châssis en gradins.
Attente de la violence et de la sensualité vers la fin sous le soleil, le sacrifice sans l'autel.
Le noir rencontre toujours l'or, le rouge imbibe l'ocre du sable.
Mais le cadrage a changé, la vision de l'artiste a changé, le regard se rapproche du détail. Le geste pictural est attentif. On retient encore plus son souffle. Il y a comme une sorte de ralenti baigné d'odeurs, de lumière. Les cris ont cessé autour de l'homme et du taureau. Qui contre qui ?
Le mot clé des nouvelles oeuvres est attente : attente avant l'action… Regards échangés… On se jauge… L'humain passe dans la bête… La bête regarde comme le toréador…
Alors le pinceau frotte la surface vierge, griffe comme le sabot qui fait voler les éclaboussures du sol.
Attirance-répulsion mais toujours attente-observation. Qui va toucher l'autre en premier ? Ralenti ? Oui, mais plus intense et plus profond que l'action. L'anecdote se sent moins dans ces nouvelles images au profit du plus important : l'échange de deux êtres qui se cherchent, qui vont se heurter sous le regard des belles qui dansent, qui ondulent, qui semblent oublier la mort à la fin de la fête.
Et le spectateur n'est plus hors du champ de bataille. Il s'est rapproché des deux combattants, il est avec eux dans le chassé-croisé des prunelles noires, du tissu et des poils.
On vit l'émotion, la tension personnellement. On devient un peu acteur. On ne peut plus s'échapper…
Les dernières toiles ne montrent plus nos émotions secrètes; elles sont nos pulsions intimes, scellées.
A quand les prochaines où nous sentirons purement, physiquement, profondément ce qu'est une corrida ? Encore l'attente mais pour nous mêmes ? Où nous serons dans la surface et non plus devant ?
Acteurs et non plus spectateurs ? Pas dans la surface mais derrière ?
Françoise Raffy se rapproche doucement de cette perspective, de ce moment où nous accepterons tout le rite.
Jean-Paul Minot